Vente de biens incorporels

La vente des biens incorporels non côtés

« Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. »

C’est en ces termes que l’article 2284 du Code civil pose le principe du droit de gage général que détient le créancier sur le patrimoine de son débiteur.

Le Code des procédures civiles d’exécution lui fait écho en prévoyant dans son article L 112-1 que « les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur (…) »

Cette dernière affirmation reflète l’état d’esprit de la grande réforme des procédures civiles d’exécution intervenue il y a près de vingt ans et consacrée dans la loi du 9 juillet 1991 et son décret d’application du 31 juillet 1992.

Cette loi, voulant rompre avec les procédures précédentes issues du code de 1806, s’est attachée notamment à revaloriser le titre exécutoire en créant des voies d’exécution nouvelles.

L’une d’entre elles a été « la saisie des droits incorporels » (Titre III du Livre II du CPCE)
Force est de constater que lorsque le droit incorporel n’est pas côté ou admis au second marché, cette mesure pose encore de nombreuses questions.

Les questions sont dues notamment à la nature hybride de cette saisie qui emprunte tant à la saisie attribution (avec la présence d’un tiers saisi, d’une dénonce de la saisie au débiteur dans les huit jours, d’une possibilité de contester dans le mois qui suit la dénonce, de l’émission d’un certificat de non contestation…) qu’à la saisie vente permettant la réalisation des meubles corporels (reprise in extenso des articles R 221-30 à R 221-32 du CPCE, vente aux enchères judiciaires, conversion de la saisie conservatoire de ces droits « en saisie vente » …).

Ce questionnement explique t-il à lui seul, le fait que cette procédure soit relativement peu utilisée ?

La saisie et la vente forcée des parts sociales : une procédure complexe

Tout d’abord, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un contentieux complexe empruntant à des droits multiples (droit des sociétés, droit de l’exécution, droit de la propriété intellectuelle …).

C’est pourquoi la procédure de vente forcée ne peut se résumer à un simple coup de marteau !!

Le professionnel en charge d’une telle procédure devra avoir une maîtrise parfaite des procédures civiles d’exécution, des droits relatifs au bien incorporel mis en vente, des règles liées aux ventes judiciaires et des procédures d’ordre lors de la distribution du prix de vente.

Une méconnaissance des droits incorporels

Ensuite, il faut remarquer que les créanciers ont trop rarement conscience de l’existence de ces droits incorporels et de la valeur qu’ils représentent.

Il est en effet très fréquent de voir un organisme de crédit ne pas savoir quoi faire du nantissement qu’il a pris sur des parts sociales, ou encore un organisme social prendre uniquement un nantissement sur une personne morale qui possède une licence de taxi ou une autorisation de transport sanitaire, sans en poursuivre la vente.

Par conséquent, certains débiteurs, voyant là une « niche immunitaire », n’hésitent pas à y mettre une grosse partie de leur patrimoine.

C’est ainsi qu’il est courant de voir un débiteur vendre ou apporter à une société dont il détient les parts, l’immeuble qui lui appartient afin d’échapper à ses créanciers personnels.

Les immeubles ainsi apportés n’appartiennent plus au débiteur et échappent aux actions des créanciers personnels du débiteur !

L’attitude des débiteurs peut paraître légitime au vu de la technicité de cette procédure, (rédaction du cahier des charges, prises de nantissement, purges éventuelles des droits de préemption, récupération des informations, évaluation des biens etc …) et dans le fait que certains créanciers doutent de l’efficience de cette mesure d’exécution.

Mais, parce que les droits incorporels recoupent une myriade d’éléments patrimoniaux (actions, licence, parts de sci…) à haute valeur vénale, cette procédure de saisie permet souvent de sortir des dossiers de l’impasse d’exécution dans lesquels ils se trouvent.

Ces biens incorporels peuvent dépendre de la propriété intellectuelle ou des droits des sociétés mais ils se combinent souvent aux suretés par la prise de nantissements.

L’Etude intervient dans cette procédure depuis de nombreuses années et notre expérience nous permet d’avoir une connaissance fine des mécanismes à utiliser pour atteindre l’objectif fixé : recouvrer les sommes dues.

Définition, saisie et vente des droits incorporels

L’exécution des droits incorporels se fonde sur l’article L 231-1 du CPCE qui stipule :

« Tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie et à la vente des droits incorporels, autres que les créances de sommes d’argent, dont son débiteur est titulaire. »

Cet article pose le principe de saisissabilité et de vente de biens meubles incorporels, mais comment ces droits peuvent-ils être définis ?

Définition du droit incorporel : Le droit incorporel est un meuble…

Partons du général pour aller vers le spécial.

Une distinction majeure existe entre les biens qui sont meubles ou immeubles (article 516 du Code civil). Ces mêmes biens meubles sont meubles par nature ou par détermination de la loi. Nous nous trouvons évidemment face à un meuble par détermination de la loi visé à l’article 529 du code civil :

« Sont meubles par la détermination de la loi les obligations et actions qui ont pour objet des sommes exigibles ou des effets mobiliers, les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d’industrie, encore que des immeubles dépendant de ces entreprises appartiennent aux compagnies. Ces actions ou intérêts sont réputés meubles à l’égard de chaque associé seulement, tant que dure la société. Sont aussi meubles par la détermination de la loi les rentes perpétuelles ou viagères, soit sur l’Etat, soit sur des particuliers. »

Il apparaît donc sans équivoque que les droits incorporels sont à classer dans la catégorie des meubles par détermination de la loi.

Le droit incorporel est un meuble … négociable

Afin qu’un droit incorporel soit saisissable, il se doit d’être négociable.

Le terme négociable signifie « qui est dans le commerce ».

L’article 1589 du Code civil dispose :
« tout ce qui est dans le commerce peut être vendu lorsque des lois particulières n’en ont pas prohibé l’aliénation. ».

L’article 1128 du Code civil dispose :
« Il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions. »

C’est en effet, cette notion de patrimonialité qui est retenue par la jurisprudence.
L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles en date du 4.5.2006 indique au sujet de la saisissabilité d’une licence de taxi :

« l’autorisation administrative de stationnement n’est pas elle même transmissible, mais le droit de présentation qui y est attaché, consacré par la loi du 20.01.2005, à titre onéreux, a une valeur patrimoniale incontestable, et constitue un droit incorporel (…) à défaut de toute disposition spéciale restrictive, cette autorisation administrative de stationnement est saisissable en application des articles 59 de la loi du 09.07.1991 et 38 du décret du 31.07.1992 ».

C’est également cette notion de négociabilité qui détermine le juge dans sa décision d’applicabilité de l’article L 231-1 du CPCE (TGI Lyon JEX 15 mai 2001, Dr et Proc 2002 39).

Le JEX de Lyon indique dans son jugement du 15.05.2001 : « attendu que la licence de taxi est un droit incorporel négociable, elle est donc saisissable par les créanciers de son titulaire en application de l’article 59 de la loi du 9 juillet 1991 ».

Le même raisonnement est tenu par le JEX de Pontoise, lequel indique dans son jugement du 11.01.2010 « en application de cette disposition (article 59 de la loi du 09.07.1991) l’autorisation de mise en service de transport sanitaire constitue un droit incorporel, elle est négociable et est donc saisissable ».

A ce sujet un arrêt de la Cour de Cassation en date du 11.06.2008 indique que la cession d’une autorisation de circulation ne peut être annulée par l’application de l’article 1128 du Code civil.

Cette définition ouverte permet de saisir tous les droits incorporels propriété du débiteur qui se trouvent dans le commerce. Le domaine est donc très large.

La loi de 1991 était faite en ce sens : revaloriser le titre exécutoire en étendant de manière importante l’assiette des voies d’exécution.

Grâce à cette procédure nous pouvons saisir l’immeuble caché derrière la société ou la marque qui permet de vendre les produits à travers le monde.

Saisie du droit incorporel

La saisie des biens incorporels : principe

Le principe de saisissabilité des droits incorporels est posé par l’article L 231-1 du CPCE

Avant de procéder à la vente du droit incorporel, il est nécessaire dans un premier temps de procéder à sa saisie.

Cette saisie est spécifiquement envisagée pour les droits d’associés et les valeurs mobilières nominative et au porteur :

Article R232-1 CPCE :
Les droits d’associé et les valeurs mobilières dont le débiteur est titulaire sont saisis auprès de la société ou de la personne morale émettrice.

Article R232-2 CPCE :
Les valeurs mobilières nominatives dont les comptes sont tenus par un mandataire de la société sont saisies auprès de ce mandataire

Article R232-3 CPCE :
Les valeurs mobilières au porteur sont saisies auprès de l’intermédiaire habilité chez qui l’inscription a été prise.
Si le titulaire de valeurs nominatives a chargé un intermédiaire habilité de gérer son compte, la saisie est opérée auprès de ce dernier.

Mais quid des autres droits incorporels ?

L’extension aux autres droits incorporels non côtés s’est dans u premier temps par un avis de la Cour de Cassation en date 8 février 1999, puis la loi est venue rectifier les textes.

En effet, la loi est venue modifier la partie réglementaire du CPCE.

Dorénavant avec le recodification du 1er juin 2012 du CPCE en sa partie réglementaire traite de dans son Titre 3 de  » La saisie des droits incorporels » et l’article R 231-1 stipule :

« Sauf dispositions contraires, la saisie des droits incorporels est régie par le présent titre dans la mesure où leur spécificité n’y met pas obstacle. »

C’est ainsi que plus aucune spécificité n’existe quant aux valeurs mobilières. Il n’est fait référence qu’aux droits incorporels.

La partie réglementaire s’est donc calquée sur la partie législative et ce pour une plus grande clarté de la procédure applicable.

Mise en œuvre de la saisie et de la vente des droits incorporels

La vente des droits incorporels

Tout d’abord rappelons que le débiteur dispose de la possibilité de vendre à l’amiable. Cette vente amiable est fixée dans les textes relatifs à la vente des biens meubles corporels. Si le débiteur ne respecte pas cette procédure (information de la vente dans des écritures et non par LR AR) cette vente amiable est nulle. (TGI JEX Lyon 15 mai 2001 Procédures juillet 2001 n°154).

Le créancier muni d’un certificat de non contestation ou d’un jugement rejetant la contestation du débiteur et à défaut de vente amiable, pourra mettre en place la vente.

Lorsque les meubles incorporels sont admis à la côte officielle, le créancier doit simplement suivre la procédure prévues aux articles R 233-3 et R 233-4 du CPCE et qui ne pose pas de difficultés.

Lorsqu’il s’agit d’une vente des droits d’associé et valeurs mobilières non admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation, la vente se fait sous forme d’adjudication. (article R 233-5 du CPCE).

C’est ici que prennent naissance les éventuelles difficultés.

Les modalités de vente des droits incorporels non côtés

Tout d’abord avant d’adjuger, il est nécessaire de rédiger un cahier des charges, puis un « agent » (article L 221-4 du CPCE) pourra vendre le droit saisi.

Le cahier des charges

Ce document qui est visé à l’article R 233-6 du CPCE est très laconique.

Article R233-6 CPCE :
« Il est établi un cahier des charges en vue de la vente qui contient, outre le rappel de la procédure antérieure :
1° Les statuts de la société ;
2° Tout document nécessaire à l’appréciation de la consistance et de la valeur des droits mis en vente.
Les conventions instituant un agrément ou créant un droit de préférence au profit des associés ne s’imposent à l’adjudicataire que si elles figurent dans le cahier des charges. »

Le contenu de cet article est très limité :

Rappel de la procédure
Les statuts de la société
Des documents permettant d’apprécier la consistance des droits

– le point 2° ne concerne pas les ventes de droits incorporels autres que les parts sociales ou actions.

– Le point 3 peut être inexistant (cas de la licence 4 ou de la licence de taxi)

Ceci signifierait que le cahier des charges dressé pour la vente d’une licence de taxi ou une marque ne contiendrait qu’un seul article : le rappel de la procédure et éventuellement des annexes.

Pouvons-nous nous contenter d’un cahier des charges contenant deux articles ?

La réponse est évidemment négative.

En pratique, un cahier des charges contient de quinze à vingt articles.

Ces articles contiennent certes le rappel de la procédure, la reproduction éventuelle des statuts et la production des documents permettant d’apprécier la valeur des droits mis en vente, mais ils traitent également des problèmes liés aux éventuels :

  • folles enchères etc…
  • enregistrements,
  • responsabilités,
  •  modalités de paiements

Sans oublier l’analyse des textes relatifs au droit incorporel mis en vente : une licence de taxi n’a pas le même régime juridique que des actions d’une Société Anonyme !

Les praticiens qui auront en charge de rédiger un cahier des charges devront avoir à l’esprit la sacro-sainte obligation de conseil pesant sur leur fonction.

Leur responsabilité pourra être recherchée non seulement par leur client mais également par l’adjudicataire ou le débiteur.

En effet, le rédacteur engage sa responsabilité civile quant au contenu du cahier des charges. (CA Paris 8ème chambre 8 mars 2001 n° de RG : 2000/13688).

Par ailleurs, il est important de rappeler que le cahier des charges lie les parties et les conditions qui y figurent et qui n’auraient pas fait l’objet d’une observation ne serait plus autorisé à en contester les termes.

C’est en effet, ainsi qu’a statué la Cour de Cassation dans un arrêt du 14.01.2009 C Cass Civ 3ème – 14.01.2009

« L’adjudicataire de parts sociales d’une société civile immobilière n’est pas recevable à contester les conditions prévues pour son agrément par les autres associés dès lors qu’il n’a pas contesté le cahier des charges, qui précisait que l’adjudication serait réalisée sous la condition résolutoire d’obtention de l’agrément dans les conditions prévues aux statuts, lesquels stipulaient que les dispositions des articles 1861 à 1864 du code civil s’appliquaient. »

Il faudra tout de même respecter les différentes obligations antérieures et postérieures à la vente comme dans toutes ventes aux enchères et celles particulières aux ventes de certains droits incorporels.

La procédure suite à la rédaction du cahier des charges.

La procédure appelle quelques commentaires CPCE R 233-7

La signification du cahier des charges :

Une copie du cahier des charges est notifiée à la société qui en informe les associés.
Le même jour, une sommation est notifiée, s’il y a lieu, aux autres créanciers opposants d’avoir à prendre connaissance du cahier des charges chez la personne chargée de la vente.
Tout intéressé peut formuler auprès de cette dernière des observations sur le contenu du cahier des charges. Ces observations ne sont plus recevables à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification prévue au premier alinéa.
Les associés qui entendent se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l’article 1868 du code civil en informent la personne chargée de la vente
Si la vente a eu lieu, les associés ou la société peuvent exercer la faculté de substitution qui leur est reconnue par l’article 1867. Le non-exercice de cette faculté emporte agrément de l’acquéreur. »

L’article 1867 du code civil :

« Tout associé peut obtenir des autres associés leur consentement à un projet de nantissement dans les mêmes conditions que leur agrément à une cession de parts.
Le consentement donné au projet de nantissement emporte agrément du cessionnaire en cas de réalisation forcée des parts sociales à la condition que cette réalisation soit notifiée un mois avant la vente aux associés et à la société.
Chaque associé peut se substituer à l’acquéreur dans un délai de cinq jours francs à compter de la vente. Si plusieurs associés exercent cette faculté, ils sont, sauf clause ou convention contraire, réputés acquéreurs à proportion du nombre de parts qu’ils détenaient antérieurement. Si aucun associé n’exerce cette faculté, la société peut racheter les parts elle-même, en vue de leur annulation. »

Cela signifie que lors de la signification du cahier des charges, l’huissier a tout intérêt à signifier la réalisation forcée à la société qui en informera ses associés.

Par ailleurs, il paraît également impératif, lorsque les droits incorporels sont des parts de sociétés, de conseiller à son client de prendre un nantissement judiciaire sur ces parts.

En effet, dans le cadre de la dissolution éventuelle de la société, la saisie des parts n’aurait aucun effet. En effet, la saisie rend indisponible les parts mais ne permet pas d’appréhender le boni de liquidation.

Le nantissement octroie un droit de préférence et permet donc d’être payé en priorité.

L’adjudication – qui peut vendre – où peut on vendre ?

L’adjudication est prévue à l’article R 233-5 du CPCE :

« A défaut de vente amiable comme il est dit aux articles R 221-30 à R 221-32, la vente est faite sous forme d’adjudication. »

Rappelons que cet article renvoie aux articles relatifs à la procédure de saisie vente.

Il est donc nécessaire de continuer à se rapporter à la procédure de saisie vente pour savoir qui est habilité à procéder aux ventes.

Qui peut vendre ?

La Cour de cassation dans un arrêt rendu par la 2ème Chambre civile en date du 19 mai 2022 se prononce sur une problématique liée à la personne habilitée à procéder à des ventes forcées de parts de société civile immobilière.

Les faits sont simples.

Il a été procédé à la saisie des parts détenues par un débiteur dans une société civile immobilière.

Suite à cette saisie, la vente forcée des parts sociales a été confiée à la chambre départementale des notaires de la Somme.

Le débiteur conteste cette vente au motif que les notaires ne seraient pas compétents pour procéder à la vente forcée des parts d’une société civile immobilière.

Le Juge de l’exécution du Tribunal de Grande Instance d’Amiens lui donne raison le 16 mai 2019.

Cependant le créancier conteste ce point et la Cour d’appel d’Amiens infirme le jugement dans un arrêt du 23 juin 2020.

C’est ainsi que la Cour de cassation est saisie par le débiteur vendu qui soutient « que la vente des droits d’associés et des valeurs mobilières non cotées est une procédure engagée par un huissier de justice et qu’aucun texte ne donne compétence aux notaires pour réaliser l’adjudication de ces biens (…) »

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Cet arrêt, bien que critiquable sur ses fondements juridiques est particulièrement intéressant quant à la future profession de commissaire de justice qui entrera en vigueur le 1er juillet 2022.

Deux points essentiels ressortent de cet arrêt :

D’une part, les notaires sont habilités par leur statut à procéder à des ventes forcées de parts sociales d’une société civile immobilière (I) mais seulement jusqu’au 1er juillet 2022 date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 2 juin 2016 créant la profession des commissaires de justice (II).

 

La compétence critiquable du notaire en matière de vente forcée de parts de SCI.

Cette idée consacrée par la Cour de cassation, paraît mal fondée pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, il faut rappeler la distinction essentielle faite par le Code civil entre les meubles et les immeubles ce qui entraîne une distinction nette dans leur modalité de réalisation (saisie et vente mobilière d’une part et saisie et vente immobilière d’autre part).

Ensuite, il faut rappeler que les meubles incorporels sont avant tout des meubles et c’est pour cette raison que le législateur, dans la loi du 9 juillet 1991 par laquelle il crée la procédure de saisie des droits incorporels, s’inspire très fortement de la procédure de la saisie vente qui permet la saisie et la réalisation des meubles corporels.

C’est ainsi que la procédure de vente amiable des droits incorporels (article R 233-5 du Code des Procédures civiles d’exécution) se fait par un simple renvoi aux textes relatifs à la vente amiable des meubles corporels (articles R 221-30 à R 221-32 du CPCE).

La conversion de la saisie conservatoire de droits incorporels se fait en une « saisie vente » (section II du chapitre IV de la partie réglementaire du CPCE qui traite de la saisie conservatoire des droits d’associés et des valeurs mobilière).

La répartition du prix de vente d’un droit incorporels se fait entre les « créanciers saisissants ou opposants »  (article L 233-1 du CPCE) et la procédure de vente forcée des meubles corporels s’arrête lorsque le prix des biens vendus permet de désintéresser les « créanciers saisissants et opposants » (article L 221-4 du CPCE)

La vente forcée des droits incorporels se fait par adjudication (article R 233-5 du CPCE) tout comme la saisie vente (L 221-3 du CPCE).

Et dans le cadre de la vente forcée de parts sociales, il y a lieu d’appliquer les textes relatifs à la saisie vente et notamment l’article R 221-3 du CPCE (Cour d’appel de Colmar du 01 février 2016 RG 3A 15/02186).

Il suffit donc de se pencher sur les textes de la saisie vente de meubles corporels pour savoir qui est compétent pour procéder à la vente des droits incorporels.

 

En l’espèce le texte applicable à la vente forcée des meubles est l’article R 221-37 du Code des Procédures Civiles d’Exécution qui stipule que :

« La vente est faite par un officier ministériel habilité par son statut à procéder à des ventes aux enchères publiques de meubles corporels et, dans les cas prévus par la loi, par des courtiers de marchandises assermentés. »

Après analyse de ce texte, il apparaît que seuls deux officiers ministériels sont autorisés par leur statut à procéder à des ventes forcées de meubles.

D’une part les commissaires-priseurs judiciaires dont l’article 1 de l’ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 relative au statut des commissaires-priseurs judiciaires stipule : « Le commissaire-priseur judiciaire est l’officier ministériel chargé de procéder, dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur, à l’estimation et à la vente publique aux enchères des meubles et effets mobiliers corporels. »

D’autre part, les huissiers de justice dont l’article 1 de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers prévoit que « (…) Les huissiers de justice peuvent en outre procéder au recouvrement amiable ou judiciaire de toutes créances et, dans les lieux où il n’est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires, aux prisées et ventes publiques judiciaires ou volontaires de meubles et effets mobiliers corporels. (…) »

 

Mais en l’espèce la Cour de cassation vise l’article 29 de la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 qui stipule

« (…)

Les titulaires d’un office de commissaire-priseur dont le statut est fixé par l’ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 relative au statut des commissaires-priseurs prennent le titre de commissaires-priseurs judiciaires. Ils ont, avec les autres officiers publics ou ministériels et les autres personnes légalement habilitées, seuls compétence pour organiser et réaliser les ventes judiciaires de meubles corporels ou incorporels aux enchères publiques, et faire les inventaires et prisées correspondants.

(…) »

Et l’article 1 de l’ordonnance 45-290 du 2 novembre 1945 portant statut des notaires ainsi rédigé :

« Les notaires sont les officiers publics, établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions. »

Ces deux textes ne donnent pas explicitement au Notaire une compétence en matière de vente forcée de parts sociales.

En effet, l’article 29 de la loi du 10 juillet 2000 est un texte qui ne vise pas expressément les notaires puisqu’il a trait aux commissaires-priseurs judiciaires.

Il dit simplement que :

« Ils (les commissaires-priseurs judiciaires ndlr) ont, avec les autres officiers publics ou ministériels et les autres personnes légalement habilitées, seuls compétence pour organiser et réaliser les ventes judiciaires de meubles corporels ou incorporels aux enchères publiques, et faire les inventaires et prisées correspondants »

Si nous faisions une application stricte du principe posé par cet arrêt, cela signifierait que le Greffier du Tribunal de commerce, du seul fait qu’il est un officier public et ministériel, aurait compétence pour procéder à des ventes forcées de parts sociales.

Ce raisonnement ainsi présenté paraît frappé du sceau de l’erreur.

Par ailleurs, l’article 1 de l’ordonnance portant statut du notariat, n’envisage aucunement la possibilité pour les notaires de procéder à des ventes forcées de parts sociales.

Le notaire n’est donc pas habilité par son statut à procéder à des ventes forcées de meubles.

C’est pourquoi les fondements juridiques retenus par la Cour de cassation paraissent contestables.

Mais dans le cas où nous admettrions comme erronés les textes retenus par la Cour de cassation, les notaires seraient-ils pour autant totalement dépourvus de compétence en matière de vente forcée de droits incorporels ?

La réponse est négative car ces officiers ministériels, sont compétents mais sans exclusivité, au visa de deux textes.

Tout d’abord, le premier texte est l’article L 211-21 du Code monétaire et financier qui prévoit que :

« Les adjudications publiques volontaires ou forcées de titres financiers sont faites, si ces titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, par les prestataires de services d’investissement membres du marché réglementé où ces titres sont négociés et, dans le cas contraire, par un prestataire de services d’investissement ou par un notaire.

Même en cas de dispositions statutaires contraires, les dispositions du présent article s’appliquent aux adjudications pour défaut de libération d’actions.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux adjudications de titres de la dette publique effectuées pour le compte de l’Etat. »

Les titres financiers sont définis à l’article L 211-1 II du code monétaire et financier :

« I. – Les instruments financiers sont les titres financiers et les contrats financiers.

  1. – Les titres financiers sont :
  2. Les titres de capital émis par les sociétés par actions ;
  3. Les titres de créance ;
  4. Les parts ou actions d’organismes de placement collectif.

III. – Les contrats financiers, également dénommés  » instruments financiers à terme « , sont les contrats à terme qui figurent sur une liste fixée par décret.

  1. – Les effets de commerce et les bons de caisse ne sont pas des instruments financiers. »

 

Cela signifie que les notaires peuvent uniquement procéder à la vente de titres financiers et qu’eux seuls le pourraient lorsque l’adjudication à sa cause dans le « défaut de libération d’actions ».

Ensuite, un second texte prévoit la compétence des notaires en matière de ventes forcée de meuble.

Ce texte dépend, de ce qui est appelé « le droit local » et qui s’applique en Alsace et en Moselle.

C’est ainsi que les notaires dans les départements du Haut Rhin, du Bas Rhin et de la Moselle disposent, depuis la loi du 1er juin 1924 – 3° portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, de la compétence avec les huissiers de justice, des attributions des commissaires-priseurs judiciaires :

« 3°) La loi du 28 avril 1816, article 89, et la loi du 18 juin 1843 sur les commissaires-priseurs. Les fonctions attribuées aux commissaires-priseurs judiciaires par les lois françaises seront exercées par les huissiers ou les notaires ; »

C’est ainsi que dans ces trois départements, les notaires exercent les activités des commissaires-priseurs judiciaires.

Cette possibilité ouverte par loi de manière exceptionnelle et qui fait que les notaires procèdent parfois à des ventes forcées, engendre du flou et pourrait laisser croire que ces derniers disposent d’une compétence générale en la matière, mais cela est faux.

A la lumière de ce qui précède, il apparaît que les notaires ne sont pas compétents pour procéder à des ventes forcées de parts de société civile immobilière, mais ils le sont pour procéder à la vente de titres financiers et tous droits incorporels dans les départements du Haut Rhin, du Bas Rhin et de la Moselle.

Mais cette distinction qui relève de la dentelle juridique et qui a soulevé des interrogations ne sera, dans quelques semaines, plus permise.

 

La compétence exclusive des commissaires de justice :

 

La Cour de cassation dans son arrêt a le mérite de la clarté, puisqu’elle indique que la compétence des notaires issue de l’article 29 de la loi du 10 juillet 2000 est « en vigueur jusqu’au 1er juillet 2022 conformément à l’ordonnance n°2016-728 du 2 juin 2016 ».

Les notaires qui disposaient d’une compétence très contestable, en matière de vente forcée de parts de SCI, la perdent du seul fait de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-728 du 2 juin 2016.

A compter du 1er juillet 2022 et suivant l’article 1 de cette ordonnance :

« Les commissaires de justice sont les officiers publics et ministériels qui ont seuls qualité, dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur, pour :
1° Ramener à exécution les décisions de justice ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire ;
2° Procéder aux inventaires, prisées et ventes aux enchères publiques de meubles corporels ou incorporels prescrits par la loi ou par décision de justice ; (…) »

 

Cette ordonnance portant fusion des professions des commissaires-priseurs judiciaires et des huissiers de justice en créant la nouvelle profession des commissaires de justice règle la question tranchée par l’arrêt de la Cour de cassation.

Seule la profession des commissaires de justice détiendra le monopole des « ventes aux enchères publiques des meubles corporels ou incorporels prescrits par la loi ou par décision de justice ».

Par conséquent, les notaires n’auront plus aucune compétence en la matière et ce tant au visa de l’article 29 de loi du 10 juillet 2000 qu’à celui de l’article L 211-21 du Code monétaire et financier.

Cet arrêt à l’immense avantage de coller à la loi et d’étouffer tout début de débat sur le sujet.

 

Où peut on vendre ?

Le texte :

Article R221-33 CPCE relatif à la saisie vente :

« La vente est effectuée aux enchères publiques soit au lieu où se trouvent les objets saisis, soit en une salle des ventes ou tout autre lieu ouvert au public dont la situation géographique est la plus appropriée pour solliciter la concurrence à moindres frais.
Le choix appartient au créancier sous la réserve des conditions prescrites par l’article 3 de l’ordonnance du 26 juin 1816 par laquelle ont été institués les commissaires-priseurs judiciaires et de la compétence territoriale de l’officier ministériel chargé de la vente. »
Le choix appartient au créancier mais sous réserve de la présence d’un commissaire-priseur judiciaire et dans un lieu dont a situation géographique est la plus appropriée pour solliciter la concurrence à moindre frais. »

La jurisprudence :

Les meubles peuvent être déplacés hors du lieu où pourrait être le siège social de la société. – Jex Pontoise 11.01.2010 et Jex Strasbourg 15.02.2012.

Le lieux de vente se fait au choix du créancier, mais ce dernier devra respecter le principe posé par l’article R 221-33 CPCE qui prévoit que la situation géographique soit la plus appropriée pour solliciter la concurrence à moindres frais.

Une compétence nationale reconnue à notre office

Notre Etude intervient depuis toujours pour procéder à des ventes de droits incorporels situés sur tout le territoire national.

Cette compétence a été querellée plusieurs fois et la jurisprudence a tranché cette problématique.

C’est ainsi que le Juge de l’Exécution de Strasbourg jugea dans sa décision en date du  15.02.2012 que :

« La SELARL DUBOIS et FONTAINE possède une salle des ventes dans son étude dont la situation géographique est la plus appropriée pour solliciter la concurrence à moindre frais puisqu’elle possède un site internet permettant aux acheteurs potentiels du monde entier d’être informés de cette vente de parts sociales sans qu’il puissent de toute façon visiter les biens immobiliers de la SCI. »

L’arrêt de la Cour d’appel de Colmar en date du 01.02.2016 confirma cette décision en ces termes :

« Il ne peut être ainsi contesté que la vente critiquée a bien été entreprise dans une salle des ventes dont la situation géographique centrale et l’existence d’un site internet permettent de solliciter la concurrence à moindre frais »

Dans le cas de la décision du JEX de Strasbourg et de la décision de la Cour d’appel de Strasbourg, il était contesté par le débiteur, ancien commissaire priseur, que l’Etude DUBOIS et FONTAINE puisse vendre les parts d’une SCI immatriculée au RCS de Strasbourg et qui était propriétaire d’un ensemble immobilier situé à proximité de Strasbourg.

La réponse est limpide : il est parfaitement possible de vendre des parts de SCI détenant un immeuble à l’endroit que souhaite le créancier à partir du moment où :

– Il n’y a aucun commissaire priseur judiciaire dans la commune où se trouve l’Huissier de justice
– l’huissier est capable de prouver qu’il a une situation centrale et qu’il dispose d’un site internet permettant de solliciter la concurrence à moindre frais.

Afin d’emporter la conviction des tribunaux nous produisons les preuves d’intérêts de différents acheteurs tant au niveau local, national, qu’international.

Preuves faciles à apporter grâce au réseau d’acheteurs que s’est constitué l’Étude au travers de plus de quinze années de vente de droits incorporels non côtés.

A travers ces quelques lignes nous constatons que la nature incorporel des biens du débiteur n’est pas un problème pour mener à bien son exécution.

Le droit de l’exécution permettra de manière intangible de contraindre le débiteur en organisant la cession forcée de son bien incorporel.

Le droit de propriété sera transféré par la vente forcée et les sommes recouvrées permettront au créancier de rentrer dans ses droits.

Vous avez un titre exécutoire contre votre débiteur et celui-ci détient des biens incorporels (parts sociales, actions, marque, brevet, licence …) ?

Vous ne savez pas comment faire pour saisir et vendre les droits qu’il détient ?

Alors n’hésitez pas à prendre contact avec l’Étude, notre expérience acquise à travers une pratique continue depuis plus de 15 ans, nous autorisera à vous conseiller utilement sur la faisabilité de la saisie et de la vente, sur la valorisation des biens incorporels et sur la stratégie procédurale à adopter.